de la nécessité d’être absolu en art
ou
de l’impossibilité d’un art absolu
ou l’inverse
Notes de lecture
Attention, les textes que vous allez lire contiennent des arguments qui ne sont pas justifiés ou justifiables. L’auteur (moi-même) n’expose dans les textes à suivre que ses opinions de sculpteur animalier post-moderne, il assume être à coté de la plaque, il assume aussi n’aller que de lieu commun en lieu commun , de dire des énormités. Mais toutefois veuillez être assuré de la bonne foi de l’auteur, si celui-ci se trompe, et il se trompe assurément, soyez assuré qu’il se trompe avec zèle, et de façon jusqu’en-boutiste. Cet avertissement donné, entrons à présent dans le vif du sujet.
Sculpture
La sculpture a, à mon sens, le double pouvoir de rendre visible et de matérialiser( cf. Rancière). Matérialiser dans le sens le plus banal, en étant physique et primordial. Ce n’est pas la volonté de laisser une trace, ou de créer du sens qui me « pousse » à faire de la sculpture mais bien plutôt la volonté de penser sa propre construction du réel, de proposer (ou d’essayer) une façon de faire autre. A mon sens, le travail d’un sculpteur réside dans le fait d’imposer sa volonté à un ou des matériaux qui possèdent une logique interne qui diffère de la volonté du sculpteur. Il y a dans la sculpture une opposition, le sculpteur doit contraindre la forme à devenir celle qu’il souhaite, il « impose » la forme, mais le sculpteur doit en même temps se plier à la logique interne du matériau. Et si le sculpteur modèle le matériau, le matériau lui « impose » ces gestes. La sculpture est un acte dualiste, entre deux formes qui pourtant dialoguent et se modèlent l’une l’autre.
« Je pense que la signification de l’œuvre réside dans l’effort pour la faire et non dans l’intention que l’on a. cet effort est un état d’esprit, une activité, une interaction avec le monde. » Serra. Interview avec Liza Bear en 73.
Ce propos de Serra montre une volonté forte celle de faire, celle de créer, mais il y a dans l’idée d’effort aussi celle de limite, celle d’un consensus, ou d’un nécessaire dialogue avec la matière. C’est en cela que la sculpture relève pour moi du dualisme, C’est en cela que l’œuvre entretien un dialogue avec le monde. Car elle n’est pas seulement, car elle n’est pas exclusivement « l’illustration » ou la mise en forme des intentions de l’artiste ; car elle n’est pas un système clos, préalablement défini et paramétré.
Serra dans la suite de cette interview dit d’ailleurs : « pour moi, le point focal de l’art c’est l’expérience de la vie au travers des œuvres, et cette expérience n’a peut être pas grand chose à voir avec la réalité physique de l’œuvre d’art, pas grand chose à voir avec ça. Mais on parle d’intention, on ne parle que de la relation de faits physiques. Et je pense qu’une œuvre d’art ne se contente pas de prévoir exactement toutes les relations mesurables. »
Pour moi la sculpture est un acte élémentaire. C’est l’acte d’agir sur l’Autre, le vivant, la nature. Celui de transformer, d’améliorer, d’altérer, de modeler de détruire ou de construire l’Autre. Cet autre c’est aussi tout ce qui fait notre environnement ( pour utiliser ce terme anthropocentriste) : pérenne ou éphémère, animé ou inerte, naturel ou artificiel. C’est un acte nécessaire et totalitaire : Nécessaire car notre condition nous réclame pour survivre d’altérer l’Autre, notre environnement. Et totalitaire car nous sommes conscients de nos actes, de leurs conséquences , de leurs portées. Tous nos actes sont des prises de pouvoir sur cet Autre, une volonté d’affirmer notre « monde » ( cf. Deleuze). Ce sont aussi des actes de survie. Du moins quelque fois quand il s’agit de nos besoins, et pas de combler nos désirs. Je pense qu’il y a Sculpture dans tout acte non-vital sur le réel. J’envisage la sculpture comme un acte anthropocentriste : Sculpter pour moi, c’est vouloir extérioriser une intériorité. c’est vouloir rendre visible son intériorité, quelque chose qui ne l’est pas encore et que le sculpteur veut rendre visible. Cette intériorité peut être un ressenti ou/et une intention ou autre chose. Mais c’est vouloir rendre visible cette intériorité en l’inscrivant dans un matériau. En forçant donc l’extériorité de ce matériau à prendre la forme propre à exprimer l’intériorité du sculpteur. Je pense que tous nos actes qui ne sont pas des actes de survie, tous nos actes de sculpture sont des prises de pouvoir sur l’Autre, sur notre environnement. A l’époque où notre environnement pouvait sembler hostile cette prise de pouvoir devait être une façon d’affirmer son monde, de peut-être se construire un abri symbolique contre cet environnement hostile. Si ces actes avaient cette vocation là alors à mes yeux, ils n’ont pas plus de justifications à avoir. Mais maintenant que nous avons domestiqué l’Autre, notre environnement ; que nos actes ne sont plus dictés par cette nécessité liée à la survie ou à l’affirmation de notre « monde », comment pouvons-nous ou devons-nous penser notre rapport à l’autre, à notre environnement. Maintenant que nos actes sur l’Autre ne sont plus régis par la même nécessité, quelle relation pouvons-nous construire avec cet Autre ?
A mon sens, il y a une chose que nous partageons avec l’animal, l’intériorité. Cette intériorité nous la percevons par le regard, mais nous ne pouvons la partager avec l’animal comme nous pouvons le faire entre hommes. Nous ne pouvons communiquer avec lui. Cette intériorité même si nous la percevons , nous ne pouvons la pénétrer. Nous sommes bloqués au seuil de celle-ci, nous n’y avons pas d’accès. L’animal reste insondable. Pourtant nous ne cessons de rechercher cette intériorité. Nous avons comme le besoin de pouvoir en quelque sorte nous approprier cet autre, si proche et pourtant si différent. Comme une volonté de faire rentrer en collision cette multiplicité de « mondes » (cf. Deleuze A comme animal). Nous ne pouvons nous en tenir à ce simple regard, alors nous créons des animaux : Ils sont véhicules, domestiques, comestibles, scientifiques, symboliques, héraldiques… Nous les analysons, les disséquons pour finalement les classer. Les classer en nuisible ou utile.
Je pense que notre rapport à l’animal interroge notre rapport au monde. Parce que l’animal est si proche de nous et que pourtant nous ne faisons de lui que quelque chose en rapport à nous. comme si l’animal n’était qu’un électron docile gravitant autour du noyau Homme. Comme s’il n’avait pas d’existence propre, qu’il n’existait qu’en tant que part de notre « environnement », comme si nous n’avions pas de questions éthiques à nous poser.
Alors nous nous donnons le droit de les étudier (sans trop s’inquiéter d’ éthique). Mais nos études tendent justement à montrer qu’ils nous ressemblent plus que nous ne l’aurions cru. Quel statut pouvons nous lui donner alors ? Puisqu’on a prouvé que le corbeau sait se fabriquer des outils, que la structure hiérarchique chez les moutons est beaucoup plus complexe que dominant-dominé et que le singe peut être triste, faut il le protéger comme nous nous protégeons avec nos sociétés. Devrait il être protégé par nos lois, comme le désir le "Great ape project " (The idea is founded upon undeniable scientific proof that non-human great apes share more than genetically similar DNA with their human counterparts. They enjoy a rich emotional and cultural existence in which they experience emotions such as fear, anxiety and happiness. They share the intellectual capacity to create and use tools, learn and teach other languages. They remember their past and plan for their future. It is in recognition of these and other morally significant qualities that the Great Ape Project was founded. The Great Ape Project seeks to end the unconscionable treatment of our nearest living relatives by obtaining for non-human great apes the fundamental moral and legal protections of the right to life, the freedom from arbitrary deprivation of liberty, and protection from torture.), voulant faire entrer les grands singes dans « une communauté des égaux » leur donnant les mêmes droits que nous ? Mais ne devraient- ils pas bénéficier de nos lois et y être soumis comme nous, faire parti de nos sociétés pour être nos égaux. Et si le singe, pourquoi pas le chien dont on dit qu’il est le meilleur ami de l’homme; cela passe encore, mais la vache, le cochon qui partage pourtant plus de 95/100 de notre ADN. Il nous faut définir une liste. La liste des animaux de la « communauté des égaux ». Mais n’est-ce pas une fois encore se définir comme supérieur, n’est ce pas encore une fois recalé l’animal au rang d’ Autre Sous-moi, dont nous pouvons décider lesquels sont dignes d'être nos « égaux », et que nous « re-classifions ».
C’est la question de notre rapport à l’Autre qui se pose de façon difforme dans le "Great ape project ". Mais ce qui ressort de ce projet, c’est que nous voulons continuer à faire comme avant, comme quand nous étions en « danger », que nous devions riposter face à notre environnement. Ou comme quand nous étions seulement « ignorants ». Ce qui ressort du "Great ape project ", c’est que même en faisant l’effort de ne pas être anthropocentristes, nous restons anthropocentristes.
Et que dire de ces propos de James Auger artiste et designer, parlant de « l’utilité extrême comme stratégie de survie » des animaux : « Une compagnie californienne spécialisée en biotechnologie a commencé à prendre des commandes pour des chats hyper allergéniques pour des clients allergiques aux poils de chat. En 2003, un professeur de l’université nationale de Taiwan a isolé un gène de protéine fluorescente en l’extrayant de l’ADN d’une méduse et l’a inséré dans l’ADN d’un dard-perche. Le Glofish ( poisson fluorescent) est désormais vendu sur le marché américain comme nouvel animal domestique. Ceci démontre à quel point certains animaux sont prêts à détourner leur attitude et leur apparence naturelles pour satisfaire l’homme. ». Ces propos font peur, et s’ils sont des plaisanteries (ce que je pense), elles sont d’un cynisme de mauvais goût.
Mais le modernisme fini, les utopies aussi, il ne nous reste pas grand chose à quoi nous rattacher. Et le cynisme est une pratique facile, qui permet de ne pas se positionner, ou se questionner tout en se moquant et en restant dans un indéterminisme à la fois troublant et rayonnant. C’est là une pratique adoptée par nombre de nos pairs et il semble que James Auger soit de ceux-là.
Et j’avoue avoir été l’un de ceux-là, mais voilà ma période cynique est derrière moi, cela ne me convient plus, je ne veux plus me contenter de jeter la pierre à ces pauvres petits humains là-bas en bas. J’ai donc pris la décision de devenir un Idiot dans le sens noble ou Dostoïevskien du terme. De chercher naïvement, ou en « connaisseur », aussi parfois avec une ignorance critique, en confrontant ou en mettant en corrélation. De chercher en s’obstinant bien sûr. De chercher où est l’animal, ou du moins où nous devrions ne pas le mettre.
Florent Belda, 2008.
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